samedi 29 septembre 2012

Courrier d'un interné civil hongrois en France en 1914

Voici un entier au type Semeuse expédié en décembre 1914 par un ressortissant hongrois interné au fort de Lanvéoc, en Bretagne, où il a pu croiser le peintre Otto Seligmann ou bien Hermann Mumm, le roi du champagne...


La carte est adressée au sous-secrétaire d'état au ministère de l'instruction publique et des cultes, à Budapest en Hongrie, par le comité international de la Croix-Rouge à Genève en Suisse.

Hormis la prose (en français) de l'expéditeur, il n'y a aucune marque au dos...

On est en droit (et même en devoir, si on s'intéresse à l'histoire postale) de s'interroger sur le mode de transmission d'un tel courrier.


Voici un extrait de la circulaire du 26 novembre 1914:
En vue d'éviter toutes difficultés, il a été décidé que la correspondance expédiée par des sujets austro-allemands pourra s'effectuer par cartes postales ou lettres ouvertes, écrites soit en français, soit en allemand.
Ces cartes ou lettres ne devront être confiées directement au service postal ; elles seront remises, affranchies par les intéressés, à l'autorité administrative chargée de la gestion du dépôt, pour être soumises au contrôle des préfets. La correspondance de l'espèce sera, par la suite, transmise cachetée à la poste après avoir été répartie en deux séries, comprenant l'une les cartes et les lettres à destination de la France ou de ses colonies, l'autre les cartes et lettres à destination de l'étranger.

Les objets de la première série seront traités et acheminés comme les correspondances ordinaires ; ceux de la deuxième série, après avoir été soumis à la formalité de l'oblitération des figurines postales seront restitués au préfet, qui les acheminera au Ministère des Affaires Etrangères chargé d'en assurer la transmission par la voie diplomatique..."

(Tous mes remerciements à Feunteun pour m'avoir fourni ce texte!)
J'ai souligné ce qui correspond à ma carte.

L'envoi, affranchi (la franchise ne leur sera accordée qu'en avril 1915), est donc contrôlé par le préfet, puis remis à la poste (oblitération de QUIMPER du 19/12/14); étant à destination de l'étranger, il est restitué au préfet, transmis au ministère des Affaires Etrangères, qui appose son contreseing sur la carte et acheminé par valise diplomatique!
Comme Budapest est souligné en rouge, alors même que Genève est barré, je me demande si la carte est bien passée par la Suisse, ou si elle a pu être transmise directement en Hongrie...

Un pistonné!
Le fort de Lanvéoc ne devait pas être bien grand... Le fait d'avoir trouvé, en quelques clics sur le net, 2 personnes célèbres internées en ce lieu m'a mis la "puce à l'oreille"...
J'ai donc cherché un peu plus avant, et j'ai trouvé une conférence donnée en 2009 par J-C. FARCY, intitulée "Les camps d'internement français de la première guerre mondiale", dont voici un extrait:

Il y a aussi des camps de notables (internés de position sociale élevée, artistes et intellectuels) qui servent d'otages (monnaie d'échange et représailles), au fort de Lanvéoc (Finistère) ou à l'hôtel de la Plage à Carnac (Morbihan). Dans ce dernier - 70 à 80 internés pour une capacité de 100 - les internés paient leur séjour (et les dépenses poste de garde) et disposent de tout le confort, mais cela reste une « prison dorée » avec, par exemple, ses punitions : consigne à la chambre, menace de changer de camp.

Voici le verso de la carte:
Le dénommé Balog était un scientifique; mais je n'ai rien trouvé à son sujet: je ne déchiffre pas bien son prénom (Elemér, Thémée...).

Sympa, non?
 
 
 
Dernière minute:
 
Feunteun nous a trouvé ceci à propos du camp de Lanvéoc:
 
"Selon un reportage de la Correspondance politique de l'Europe centrale du 20 avril 1916, sur 97 internés, environ la moitié sont des notables que le Gouvernement français retient comme otages. Le journal cite les noms suivants: Muum propriétaire de la grande marque de champagne de Reims; le comte Luckner, arrière petit-fils du célèbre maréchal de France, peintre à Paris; le docteur Pfeiffer ex vice-consul des Etats-Unis à Mannheim; Kroll, directeur d'hôtel à Paris; Fuhrmann, grand industriel du Nord; les frères Newmann, joailliers à Paris; Wolf, éditeur d'art; Hilscher, grand industriel de Troyes, etc," (A.D. Finistère, 9 R 20)".

et encore ceci qui nous éclaire sur l'expéditeur:

Extrait d'un document publié dans "Avel Gornog" de août 2008 sous le titre "LE CAMP DE NOTABLES DE LANVEOC":

"... Le fait d'être retenus prisonniers suscite en fait l'incompréhension de bien des internés comme Elemer Balog:

"Attiré en France par la haute culture des sciences dans ce pays, j'ai passé des années entières dans les diverses bibliothèques de Paris pour y étudier l'antiquité romaine et grecque et le droit civil comparé. Plusieurs de mes travaux ont été présentés à l'Académie des Inscriptions et Belles Lettres... J'ai collaboré pendant ce temps à différentes revues concernant le droit. J'ai déjà publié onze volumes et je m'occupe à présent de mettre sous presse mes deux grands travaux, l'un de trois volumes sur le droit de guerre chez les romains, l'autre de deux volumes sur le droit civil comparé. Admirateur sincère de la science française, je me suis évertué de tourner vers elle l'attention de mes compatriotes et je crois avoir de véritables mérites de ce côté. Je me prends encore la liberté de vous dire que je suis né dans le sud de la Hongrie, dans une région entièrement habitée par des Slaves et que la considération de mes concitoyens m'a valu de figurer dans le conseil général de mon comitat... Je vous sollicite une faveur. Je désirerais me rendre en Suisse, à Genève en particulier, pour m'y établir pour le temps de la guerre et me faire valoir à l'université sur la base de mes travaux scientifiques..."  (22 octobre 1914)      Source: Archives départementales du Finistère, 9 R 17

J'ai souligné ce qui permet de préciser le texte de la carte postale:
"Je désire regagner la liberté afin que je puisse me livrer de nouveau à la science et mettre sous presse deux mes (sic) grands ouvrages avec lesquels j'ai eu tant de malchance."


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